mardi 28 avril 2009

LE MONTAGE IDÉAL / JARDINIER

LE MONTAGE IDÉAL


JARDINIER

Ma rencontre avec une grand-mère dans un train (et la sagesse ouverte des premières pages de Ghöguyan Trüngpa Rinpoché) m’ont donné la formule du « montage idéal »,… le montage absolu, « le point magique d’utilisation des choses. » Artaud.

Parce que j’écoutais une grand-mère gentille et envahissante, parce que mon écoute la faisait parler, artiste naïve qui aimait les jeunes, peignait des œufs de cannes, et faisait des tableaux en boutons à coudre, elle offrit aux deux jeunes garçons du compartiment et à moi son petit vin…

Je devins léger, en somme ; d’un montage d’une situation, des bouts de paysages rapides, des travellings, des reflets d’un choix, de la musique d’un plaisir.

S’abstraire de tout jugement, de tout vouloir, ne vouloir rien. Qu’écouter. Accepter.
…et le bonheur est une succession d’appréhensions faciles, de regards successivement fortuits sur les bonnes choses à voir, qui se montent avec tout à voir qui donne le bonheur.

Dans ce train, avec mamie, au retour d’une visite à mon père après 10 ans d’absence — comme quoi c’est la mémoire qui travaille — j’appelle cet assemblage mental du passé et des sensations, et de la bonne disposition aux autres, le montage idéal : dans plusieurs dimensions mais toujours ramenées à un vitrail, qui coulisse, qui ressasse, un territoire.
VITRAIL


MA ville d’enfance s’appelle Vitré.

Imaginer enfant que la main a pour continuité un rasoir, son fil immense qui coupe les maisons sur le retour de l’école, agence, ordonne. Mes mains se prolongeaient en fils invisibles, sciaient en passant les maisons.

Il n’y a que ce que à quoi on a passé son temps à —
Il y a ces temps répétés qu’on a passé à refaire. 
Les mêmes, celui-là, sont là, un temps.
Un train de paupières.

Avant de rencontrer ma grand-mère, ce qui m’avais donné la formule du montage idéal, dans le train, j’essayais de résumer cette obsession, comme quoi c’est la mémoire qui travaille, et traçait un carnet de pistes. Le montage est la clé de tout.
- mes collages de papiers (voir le chapitre CAGE)
- les villes
- l’enfance (les échos des voix) les voitures qui filent devant la maison, c’est tout ce qui me reste de l’enfance.
- le futur (découpage, pliage de la circulation)
- résurgence de surréalisme, cette erreur nécessaire : Jalons, mensuel, parodique, discours inversé droite/gauche ; lessivage des idéologies
- le rassemblement de directions velléitaires, fugitives, sur un plan déterminé, qui se détermine.
- chaque partie reliée au tout, à la fois partie et fondation, jusqu’au ressassement.
- la répétition
- le couplage et le cut, de W. Burroughs à Radio Nova, ambiguïté totale ou baroque : architecture multi-média, multiforme 
(art, arche, texture)
- la course poursuite d’un montage, de pans de vie, obstinée — des pans de rêves.
- la Vision
- tout travail
- toute machine désirante : toute cosmogonie portative
- l’ordre du monde, entre conscient et inconscient, la mathématique.
- thématique, un fil dans un labyrinthe, qu’on dévide, en reconnaissant un territoire : la dynamique, le poétique.
- l’ellipse et le recommencement : la continuité.
- …l’impossible rencontre : ça n’est jamais aussi beau qu’impossible.


L’IMPOSSIBLE RENCONTRE — ÇA N’EST JAMAIS AUSSI BEAU QU’IMPOSSIBLE.

L’OMBILIC DES LIMBES, de A. ARTAUD

« J’ai toujours été frappé de cette obstination de l’esprit à vouloir penser en dimensions et en espaces, et à se fixer sur des états arbitraires des choses pour penser, à penser en segments, en cristalloïdes, et que chaque mode de l’être reste figé sur un commencement, que la pensée ne soit pas en communication instante et ininterrompue avec les choses, mais que cette fixation et ce gel, cette espèce de mise en monuments de l’âme, se produise pour ainsi dire AVANT LA PENSÉE. C’est évidemment la bonne condition pour créer.
Mais je suis encore plus frappé de cette inlassable, de cette météorique illusion, qui nous souffle ces architectures déterminées, circonscrites, pensées, ces segments d’âme cristallisés, comme s’ils étaient une grande page plastique et en osmose avec tout le reste de la réalité. Et la surréalité est comme un rétrécissement de l’osmose, une espèce de communication retournée. Loin que j’y voie un amoindrissement du contrôle, j’y vois au contraire un contrôle plus grand, mais un contrôle qui, au lieu d’agir se méfie, un contrôle qui empêche les rencontres de la réalité ordinaire et permet des rencontres plus subtiles et raréfiées, des rencontres amincies jusqu’à la corde, qui prend feu et ne rompt jamais.
J’imagine une âme travaillée et comme soufrée et phosphoreuse de ces rencontres, comme le seul état acceptable de la réalité.
Mais c’est je ne sais pas quelle lucidité innommable, inconnue, qui m’en donne le ton et le cri et me les fait sentir à moi-même. Je les sens à une certaine totalité insoluble, je veux dire sur le sentiment de laquelle aucun doute ne mord. Et moi, par rapport à ces remuantes rencontres, je suis dans un état de moindre secousse, je voudrais qu’on imagine un néant arrêté, une masse d’esprit enfouie quelque part, devenue virtualité. »

Quand Artaud parle de la pensée, il utilise des mots, des images d’architecte. Décrit-il une mémorisation structurée, emprunte t-il un vocabulaire ? Des écrivains soudain s’attachent directement à une description visuelle d’une architecture de l’Esprit : Victor Hugo, Aldiss.
D’autres, moi aussi, empruntent ce langage, comme d’un usage, mais sérieux, toujours à découvrir, l’usage d’un mystère.

Artaud dans le Pèse nerfs,

« Le difficile est de bien trouver sa place et de retrouver la communication avec soi. Le tout est dans une certaine floculation des choses, dans le rassemblement de toute cette pierrerie mentale autour d’un point qui est justement à trouver.»
Et voilà, moi, ce que je pense de la pensée:
CERTAINEMENT L’INSPIRATION EXISTE.
Et il y a un point phosphoreux où toute la réalité se retrouve, mais changée, métamorphosée, — et par quoi ? ? — un point de magique utilisation des choses. Et je crois aux aérolithes mentaux, à des cosmogonies individuelles. »

On fait tous un montage idéal, on essaie tous de faire un montage idéal des sensations, de ce qu’on voit, une arithmétique, quand ça fonctionne, on en est conscient, c’est là qu’on est heureux, c’est ça le bonheur.
Le bonheur,

le montage inégalable - ces moments ici et maintenant, impermanents — l’ensemble, l’orchestre sont un trésor d’air et de lumière, de repos, d’où on construit, on se souvient de la vérité, sous vient — comme le tapis volant vient à nous.
Le chemin étroit tapissé.
Le reflet bombé, le renflé de l’œil ou de la terre - la vision cubiste de l’échelle (ronde) de l’espace.
La terre est ronde. Toute probabilité aussi. La courbe coupe le terreau imaginaire, un gonflement visuel.


LES MÊMES GESTES

Je ne suis que doué pour un montage perpétuel : ranger, prévoir ou fuir, découper, … en rêve j’aurais pu le dire. La plume m’assèche, réveil censure.

Un gouffre de création ; les mêmes gestes.


Des coïncidences.

Disponible, comment je vois, comment je rêve. Je fais un rapport entre l’architecture et comment ça se passe dans la tête, une architecture de cases en mouvement. Rêver ou les évolutions exactes de Eischer. Les choses ne sont pas ce qu’elle sont pures illusions mais une logique de métamorphoses perpétuelles, une consolation.
Mille projets : dormir. Avec des yeux de mouche, voir tout en 36 facettes. Flip ou humeur merveilleuse c’est le même château.
La vie et la décomposition c’est pareil. Toute moisissure, dépôt, décomposition, couche, superposition, révèle une ruche. Stratification de ce qui est en ruche de cloisonnements. Alvéoles hexagonales. Quand tu marches dans la rue en groupe, tout seul le flux des corps, et des voix, font qu’on s’assemble, s’approche, selon de subtils vases communicants, le groupe, la grappe, en arc, bouge. Être à plusieurs symbiose. Tenus par les vois qui situent les corps, l’écoute autour du plus aimé, circonférence les planètes. L’homme ‘a mysterious wheel’ (une roue mystérieuse), un feu d’artifice, un point est un bouquet de pistils de points. La vie et la décomposition c’est pareil.

Dans le café le petit garçon demande « pourquoi c’est carré les glaçons ? ». Obsédé il ouvre toute les portes du bar, et les ferme, tous des carrés, des maisons. « Pourquoi des carrés ? », il ouvre le freezer, vérifie l’eau solidifiée en ruche. Le serveur le poursuit un rond blanc d’assiette à la main, se retenant, jouant ce rond, de la main. Sur le flipper : ‘a mysterious wheel’ graphique, et les feux d’artifice, éclats de tout en un ; l’homme : la terre : boule miroitante.


http://www.decidemarcel.fr/

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